Risque carcinologique associé au scanner chez l’enfant

24/09/2022
Text

Marie-Odile Bernier1, Anaïs Foucault1, Hubert Ducou Le Pointe2, Jean-François Chateil3, Hervé Brisse4
1 laboratoire d’Epidémiologie de I’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), le Groupe Radioprotection de la SFR et la SFIPP
2 Service de Radiopédiatrie, CHU Trousseau, Paris
3 Service de Radiopédiatrie, CHU Pellegrin, Bordeaux
4 Département d’imagerie, Institut Curie, Paris

La question du risque de cancer associé à l’exposition médicale à visée diagnostique pendant l’enfance est importante face à l’utilisation croissante des examens radiologiques, notamment des scanners. De plus, les enfants représentent une population particulièrement sensible aux rayonnements ionisants. Plusieurs études de cohorte ont mis en évidence des risques augmentés de leucémie et de tumeurs cérébrales en fonction de la dose reçue après exposition au scanner dans l’enfance. Cependant des limites méthodologiques ont été pointées, notamment concernant la possibilité d’un biais d’indication, l’augmentation du risque observée pouvant résulter de l’existence d’une maladie sous-jacente (facteur de prédisposition au cancer).

La cohorte « Enfant Scanner » mise en place en 2009 par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire en partenariat avec la SFIPP et la SFR inclut 103 015 enfants exposés à au moins un scanner avant l’âge de 10 ans sur la période 2000-2011 dans 21 CHU français. Pour individualiser les cas de cancer, la cohorte a été croisée avec le Registre National des Cancers de l’Enfant (RNCE), ainsi qu’avec le système national des données de santé (SNDS) pour repérer les enfants présentant des facteurs de prédisposition. Les doses aux organes ont été calculées à partir des données dosimétriques recueillies.

74% des enfants avaient été exposés à un seul scanner et 11% à plus de 2 scanners (1,6 scanners/enfant en moyenne). Les doses moyennes cumulées reçues au cerveau et à la moelle osseuse à la fin du suivi étaient de 27,7 et 10,3 mGy, respectivement. 3,1% des enfants présentaient un facteur de prédisposition au cancer. Après un suivi moyen de 7,5 ans (et au minimum de 2 ans), 75 cas de tumeurs cérébrales et 39 cas de leucémies ont été observés. L’augmentation du risque est donc significative, fonction de la dose reçue, de 6% pour 10 mGy pour les tumeurs cérébrales (Hasard Ratio/10 mGy = 1,06 ; (IC)95% : 1,02 - 1,09) [1] et de 16% pour les leucémies (HR/10mGy= 1,16 ; IC 95% : 1,07 - 1,26). Dans les deux cas, l’exclusion des patients présentant des facteurs de prédisposition au cancer ne modifie pas l’excès de risque. Ces données seront bientôt confrontées à celles du projet européen EPICT, financé par la Communauté Européenne et coordonné par le Centre international de la Recherche sur le Cancer (CIRC), permettant l’analyse conjointe de 9 cohortes nationales européennes sur un million d’enfants entre 1977 et 2014 [2].

Au total, ces résultats confortent l’hypothèse d’un sur-risque carcinologique, faible mais significatif, aux doses employées en scanner diagnostique chez l’enfant, et ce désormais sur des données de vie réelle et non plus sur des extrapolations théoriques. Même si les doses délivrées par les équipements actuels sont inférieures à celles prises en compte dans l’analyse (expositions antérieures à 2010), ces résultats renforcent l’importance du respect des principes de radioprotection reposant, rappelons-le, avant tout sur un véritable contrôle de la justification des actes, sur la substitution autant que possible par des techniques n’exposant pas aux rayonnement ionisants (échographie et IRM) et, si l’emploi du scanner est indispensable, par l’optimisation systématique des doses délivrées, facilitée aujourd’hui par des détecteurs plus sensibles et l’accès à des techniques de reconstruction améliorant la qualité image à basse dose. Les radiologues et manipulateurs prenant en charge les enfants doivent rester particulièrement vigilants sur la dosimétrie prévisionnelle des protocoles employés, doivent systématiquement les comparer aux indicateurs réglementaires pédiatriques [3] (NRD) et rappelons-le, transmettre régulièrement leurs relevés à l’IRSN (même sur de faibles effectifs) pour permettre l’ajustement régulier de ces valeurs.

Références

1. Foucault A, Ancelet S, Dreuil S, Caer-Lorho S, Ducou Le Pointe H, Brisse H, Chateil J-F, Lee C, Leuraud K, Bernier MO. Childhood cancer risks estimates following CT scans: an update of the French CT cohort study. European Radiology. 2022. doi : 10.1007/s00330-022-08602-z.

2. Bernier MO, Baysson H, Pearce MS, Moissonnier M, Cardis E, Hauptmann M, Struelens L, Dabin J, Johansen C, Journy N, Laurier D, Blettner M, Le Cornet L, Pokora R, Gradowska P, Meulepas JM, Kjaerheim K, Istad T, Olerud H, Sovik A, Bosch de Basea M, Thierry-Chef I, Kaijser M, Nordenskjöld A, Berrington de Gonzalez Amy, Harbron RW, Kesminiene A. Cohort Profile: The EPI-CT study: a European pooled epidemiological study to quantify the risk of radiation-induced cancer from paediatric CT-scans. Int J Epidemiol 2019; 48(2):379-381. doi: 10.1093/ije/dyy231.
3. Arrêté du 23 mai 2019 portant homologation de la décision n° 2019-DC-0667 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 18 avril 2019 relative aux modalités d'évaluation des doses de rayonnements ionisants délivrées aux patients lors d'un acte de radiologie, de pratiques interventionnelles radioguidées ou de médecine nucléaire et à la mise à jour des niveaux de référence diagnostiques associés