Qui était Etienne DESTOT ?

25/09/2022
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Michel AMIEL, Professeur émérite Université Claude Bernard

 

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SCM lyon 1896

Figure 1 : Reproduction du CR de la séance historique de février 1896. Extrait du texte de présentation des premiers essais de radiographie de. DESTOT à la Société de Médecine de LYON le 6/2/1896.

 

La séance de la Société des Sciences Médicales de Lyon du 5 Février 1896 fut historique (Fig. 1) pour deux raisons :

  • « Monsieur DESTOT a présenté des photographies réalisées selon la méthode de ROENTGEN ».
  • Ce fut l’Acte de naissance de la radiologie à LYON, 5 semaines après la découverte de ROENTGEN, et l’avènement d’une nouvelle époque en médecine : voir l’intérieur du corps humain grâce à ce que l’on appela à l’époque « les photographies de l’invisible ».
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Destot

Figure 2 : Une photographie d’Etienne DESTOT.

 

Alors qui est ce pionnier des rayons X, Etienne DESTOT ? (Fig. 2)

Né en Bourgogne 31 ans plus tôt, Il commence ses études de médecine à l’Ecole de Santé militaire de Lyon ; mais, réformé pour tuberculose, il part se soigner à ALGER, il y passe l’internat et y reste 2 ans. De retour à LYON, il fait un internat de chirurgie chez OLLIER (son maitre), PONCET, TRIPIER. De suite il montre son talent d’innovateur en créant des instruments de chirurgie ! En parallèle, il entre au Laboratoire d’Anatomie de TESTUT, et en franchit les grades (aide, prosecteur) ; il y gardera ses entrées pendant toute sa carrière. En 1992 sa Thèse « Etude sur la mortalité dans les services de chirurgie des Hôpitaux de Lyon » fait scandale : il y cite les noms des chirurgiens ! Ceci : lui valut beaucoup d’inimitiés et donna un coup d’arrêt à sa carrière en chirurgie. Ceci démontrait une particularité de son caractère : « Il ne transigeait pas avec la vérité », et s’en flattait ! Dès lors,1993 à 1995, il se consacre aux applications médicales de l’électricité chez Raphael LEPINE. Il se qualifiait lui-même de « médecin-électricien » et de nouveau fait preuve d’innovation ! Chez ce clinicien, imprégné d’anatomie, féru des applications physiques de l’électricité, vint « germer » la découverte de ROENTGEN. En quelques jours il rassemble le matériel indispensable pour produire des rayons X :

  • Les accumulateurs pour obtenir l’électricité de bas voltage et de haut ampérage,
  • La bobine de Ruhmkorff pour passer à un courant de haut KV et de bas ampérage,
  • Le tube de CROOKES et les plaques photographiques en verre prêtées par les frères LUMIERE.

Visionnaire, il entrevoit d’emblée l’immense champ d’applications de la nouvelle méthode d’exploration : « Dès la découverte de ROENTGEN, je m’emparai d’enthousiasme de ce nouveau moyen d’exploration et j’étais outillé pour la recherche dès février 1996 » (Fig. 3).

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estropié

Figure 3 : Radiographie d’un coude (mars 1996), temps de pose 50 minutes.Musée d’anatomieTestut-Latarjet de Lyon.

 

Dès lors il devient le chef indiscutable de l’école lyonnaise de radiologie qu’il va marquer de son empreinte pendant les 16 ans (de 1896 à fin 1912) passés au sein des HCL. Par convention avec les HCL, il crée dès Mars 1896, à l’Hôtel-Dieu, le premier « laboratoire de radiologie » en France - celui de la Salpêtrière, à Paris, date de 1897- puis le service de la Charité (1899) et celui de la Croix-Rousse (1903). Atteint d’une radiodermite grave des 2 mains en1913, il part à Paris, devient expert auprès des tribunaux, fait de nombreuses conférences dans les hôpitaux où son expérience est appréciée. Survient la guerre, il essaye de s’engager dans l’armée malgré ses 50 ans, n’obtient son intégration qu’en 1915. Il met, pendant 3 ans, son énergie au service de son pays. Il meurt en décembre 1918 dans sa Bourgogne natale d’un infarctus. Il est enterré à Arc et Senans.

Cet HOMMAGE concernera : sa personnalité, son œuvre scientifique, son environnement à l’Hôtel-Dieu de LYON.

Sa personnalité :

  • Original et passionné : il ne transigeait pas avec “LA VERITE”, cela faisait partie de son ETHIQUE personnelle ;
  • Enseignant hors pair : il faut l’imaginer, parcourant les couloirs de l’Hôtel-Dieu, entouré d’internes, brandissant la preuve du diagnostic, se vantant, de sa voix tonitruante, son langage imagé, de posséder « la vérité » ;
  • Inventif, d’une curiosité d’esprit insatiable ;
  • Enfin acharné de travail, partageant son temps entre l’hôpital le matin, et le laboratoire d’anatomie l’après-midi puis le soir. Tout ceci fort bien connu à Lyon et à Paris, en témoigne cet extrait de la notice de décès parue dans la Presse Médicale, Janvier 1919, après sa mort : « …il appartenait à cette catégorie de chercheurs originaux, d’esprits singuliers, qui ont horreur des chemins battus, des opinions courantes, ce qui ne va pas sans une certaine rudesse dans l’abord, une certaine âpreté dans les propos ! Ayant horreur du verbiage et supportant mal la contradiction, il heurtait tous ceux qui ne partageaient pas ses opinions ! C’est dire qu’il comptait beaucoup d’ennemis ; ce dont, au fond de lui-même il souffrait, car sous la carapace du hérisson se cachait un cœur d’or comme en témoignaient ses malades, son cercle d’amis indéfectibles ! ».

 Son œuvre scientifique :

A titre posthume, il n’a pas bénéficié, à Lyon, de toute la reconnaissance qu’il méritait ! En 16 ans, il a réalisé une œuvre d’une ampleur, d’une originalité, d’une diversité, et d’une continuité, que peu ont atteint parmi ses illustres contemporains nombreux à l’Hôtel-Dieu de LYON !

Sous l’angle technique :

  • Dès les premières semaines de 1896, il propose diverses modifications du tube de CROOKES ; il y travaille avec CHABAU à Paris.
  • Il modifie une machine électrostatique de HOLTZ, multipliant le nombre de plateaux pour diminuer le temps de pose (passant de 60 à 5 minutes) pour radiographier un membre (Fig.4).
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machine de destot

Figure 4 : « La MACHINE de DESTOT » (roue de HOLTZ enrichie de multiples plateaux : jusqu’à 12).

 

« Que l’on imagine l’atmosphère qui devait régner dans son laboratoire de radiologie, local assez exigu, d’obscurité relative, véritable antre de VULCAIN, où voisinaient : le tube en verre de CROOKES, qui s’embrasait de lueurs colorées, la machine statique à influence et son crépitement d’étincelles, le tout relié par des fils électriques en spirale, qui trainaient partout, et où passait le courant Haute Tension ! ».

  • Au cours des années, il multiplie les innovations techniques, par exemple, parmi les premiers au monde : le radiocinéma, la stéréo-radioscopie, la stéréo-radiographie (si utile pour localiser les éclats d’obus dans la guerre de 1914) (Fig. 5).
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ophtalmostereoscope

Figure 5 : Traité de Stéréoscopie rationnelle par DESTOT.

 

Mais surtout, au-delà de la mise au point « en soi » d’un nouvel outil, c’est la recherche méthodologique, que celui-ci permet, qui le passionne ! Ainsi :

Il réalise sur des pièces anatomiques, avec Léon BERARD, parmi les premiers au monde, des artériographies de tous les viscères dès juillet 1896 ; ses recherches auront des applications intéressantes en chirurgie et physiologie (Fig. 6).

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vascularisation

Figure 6 : Artériographie (post-mortem) de la vascularisation des mains : présentation à l’Académie des Sciences en décembre 1896, d’un travail réalisé avec Léon Bérard, pour inventorier une grande partie des vaisseaux chez l’homme.

 

Citons aussi :

  • 1898 : technique originale de radiographie de l’estomac par double contraste ;
  • 1902 : statif original pour réaliser des orthodiagrammes du cœur (plus de 600 tracés) ; et préciser, in vivo, les rapports entre cœur, médiastin, poumons ; la séméiologie des organes intrathoraciques des principales cardiopathies (Fig.7) !
  • 1906, avec les accoucheurs, il construit un cadre destiné à la pelvimétrie.
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orthodiagramme

Figure7 : Schémas de la projection (orthodiagrammes) du coeur dans différentes pathologies du cœur (Thèse de médecine d’ARCELIN, un de ses élèves à Lyon).

 

Mais le plus grand mérite de DESTOT, « son grand œuvre », ce sont ses découvertes de radio-anatomie, de physiologie, de physio-pathologie de l’appareil ostéoarticulaire des membres, en particulier en traumatologie : il a marqué de son empreinte l’histoire de cette discipline. Il définissait sa règle de travail, selon une « démarche Bernardienne » « …la pathologie marche en éclaireur, elle éveille l’idée ; l’anatomie et la physiologie viennent ensuite pour donner l’explication rationnelle des faits, et guider le traitement ».

  • 1896 : la fracture du scaphoïde, puis l’ensemble des traumatismes du poignet font l’objet de ses recherches. Il décrivit aussi « l’espace vide médio-carpien », des crucifiés, qui porte son nom. (Fig. 8)
  • 1897 : il décrit, pour la 1ère fois, la fracture sans déplacement de l’astragale ; il va systématiquement explorer et décrire la radio-anatomie du pied, sa physiologie, ses traumatismes et leurs séquelles. Il a laissé son nom à la fracture de la malléole postérieure du tibia. Dans ses descriptions, il est autant poète que mécanicien « le pied s’anime, devient une partie vivante de notre corps, il lutte, plie, réagit, se défend, succombe ou triomphe :  ce n’est plus le bloc inerte de l’enseignement magistral ! ».
  • 1905 : son 1er livre : « Le poignet et les accidents du travail », sera réédité en 1923 par ses élèves ; puis traduit en langue anglaise ; il restera la bible des orthopédistes.
  • 1908 : Son 2ème livre concerne « Les fractures du coude chez l’enfant ».
  • 1911 : son 3ème livre « Le pied et les rayons X », sera complété par son élève BOSQUETTE dans une nouvelle édition en 1937.
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poignet

Figure 8 : Schèma d’une lésion osseuse post-traumatique du carpe, illustrant la méthode de DESTOT pour « Illustrer et comprendre » la physio-pathologie...

 

Mais son œuvre ne s’arrête pas là, il accumule les travaux sur :

  • les traumatismes de la hanche, œuvre qui restera inachevée ;
  • les algodystrophies articulaires d’origine neurologique, qu’il a décrites ;
  • les atteintes osseuses du tabès ;
  • et le suivi des recherches sur le périoste de son Maitre OLLIER.

Etienne DESTOT, véritable chef d’école, écrit de nombreux livres, initie ou dirige plus d’une vingtaine de thèses de médecine, publie un grand nombre d’articles dans les journaux, sociétés savantes locales. Ses recherches ont été le fruit d’un travail considérable, mené avec ses élèves et/ou ses amis du laboratoire d’anatomie, bien décrit par BRIAU et GALLOIS, qui y consacraient leurs soirées et parfois leurs nuits. Il consistait, à partir de lésions, ou d’images, rencontrées en clinique, à rechercher, et même à provoquer, des fractures ou des lésions artificielles, sur des pièces anatomiques, pour en comprendre les mécanismes, les bases physio-pathologiques. (Fig. 9)

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Figure 9 : Radiographie osseuse 1896.

 

Son environnement à l’Hôtel-Dieu de Lyon : un foyer scientifique ! 

Chacun sait bien qu’il n’y a pas de création humaine qui survienne totalement « de novo », surtout en science ! En particulier pour la recherche clinique : autour et à côté du chercheur, un foyer scientifique est nécessaire ! En médecine iI est formé : de malades, de maitres et d’élèves, mais aussi d’une cohorte de condisciples et de contemporains. Pour comprendre dans quel contexte se déroulaient les journées d’Etienne DESTOT, il faut imaginer ce que représentait L’HOTEL-DIEU de LYON à la fin du 19ème siècle :

  • Un énorme hôpital pour l’époque, 1000 lits, recrutement dans tout le quart sud-est de la France.
  • Considéré en Europe comme l’un des plus avant-gardistes car ces chirurgiens majeurs qu’étaient Antonin PONCET et Léon TRIPIER furent les propagandistes à Lyon et en France des techniques d’asepsie de LISTER, dans le droit fil des découvertes pasteuriennes !                                 

Dans ses écrits, DESTOT exprime une reconnaissance à l’égard de L. OLLIER, son « Maitre ». De plus il n’hésite pas à placer, dans sa monographie sur le pied, cette citation de Claude BERNARD : « Chaque fois qu’un moyen nouveau et sûr d’analyse expérimentale surgit, on voit toujours la science faire des progrès dans les questions auxquelles ce moyen peut être appliqué ». Ce principe, au long de sa carrière, sous-tendra les travaux de cet homme inventif, de ce travailleur acharné.

Parmi ses contemporains il faut citer :

  • Mathieu JABOULAY première tentative au monde de greffe de rein chez l’homme.
  • Jules COUMONT hygièniste réputé.
  • Alexis CARREL créateur de la micro-chirurgie vasculaire, prix NOBEL.
  • Léon BERARD créateur de l’école de cancérologie.
  • Marcel MERIEUX,1897,1er laboratoire de biologie à l’Hôtel-Dieu.

Et ceux, nés à LYON, qui ont contribué à l’histoire de la radiologie en France :

  • Les frères LUMIERE ont conçu les détecteurs appropriés, plaques photographiques en verre, puis mieux adaptées aux radiographies.
  • Victor DESPEIGNES, Juillet 1896, 1ére radiothérapie au monde d’un cancer.
  • Claude REGAUD, agrégé de cytologie ;1906 : décrit les lois de la radiosensibilité cellulaire ; Il part à Paris, à l’Institut Curie, dont il deviendra directeur.
  • Paul VILLARD, né à Lyon où il fit ses études. Physicien et normalien, il vécut à Paris et contribua à améliorer les tubes à rayons X et les redresseurs de courant ; et il découvrit, en1900 le rayonnement Gamma de la radioactivité.

Etienne DESTOT fut un grand scientifique, et honorer la mémoire de ce pionnier de la radiologie française, de la médecine lyonnaise, c’est aussi honorer l’homme... Dans cette ville qui garde le souvenir de RABELAIS, ce colosse bourguignon avait la dimension et les qualités humaines des personnages du grand écrivain :

  • Sa verve en faisait un enseignant adoré des plus jeunes ; et un compagnon recherché pour les revues d’internat.
  • Il avait une grande culture artistique et des talents multiples : caricaturiste, peintre, sculpteur (Fig. 10).
  • Enfin, il alliait à son absence de conformisme, à son foisonnement d’idées, un charisme exceptionnel, en témoigne son dévouement pour ses malades, puis pour sa patrie.
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Figure 10 : DESTOT, l’artiste : sculpture de son maitre, Léopold OLLIER auprès de la mère de l’’un des enfants qu’il vient d’opérer.

 

Au total, un monument de l’ANTHOLOGIE de la médecine lyonnaise !