Apport du scanner double énergie pour la caractérisation des cardiomyopathies

01/10/2022
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Sara Boccalini 1,2, Salim A. Si-Mohamed 1,2, Delphine Gamondès 2, Didier Revel 1,2, Loic Boussel 1,2, Philippe Douek 1,2

1. Université Claude Bernard Lyon 1, CREATIS, CNRS UMR 5220, INSERM U1206, INSA-Lyon, France

2. Département d’Imagerie cardiovasculaire et thoracique, Hospices Civils de Lyon, France

 

La caractérisation des lésions du myocarde a été regardée pendant très longtemps comme de pertinence spécifique de l’IRM. Alors qu’effectivement l’IRM permet d’évaluer et de caractériser des nombreuses lésions du myocarde comme l’ischémie, la nécrose, la fibrose focale ou diffuse, l’œdème, l’augmentation de l’espace extracellulaire, de manière visuelle subjective (visualisation des plages de rehaussement tardif en cas de myocardite ou infarctus) et quantitative (T1, T2 mapping et volume extracellulaire) son utilisation est souvent difficile notamment en cas d’urgence. Les longs temps d’acquisition, la disponibilité limitée des machines et la difficulté de réalisation d’examen chez les patients qui n’arrivent pas à tenir l’apnée sont surement des inconvénients qui en limitent l’utilisation dans certaines circonstances. De ce fait, l’idée de pouvoir extraire les mêmes informations à partir des images scanographiques a interpellée plusieurs radiologues et chercheurs. Malgré les quelques succès et la démonstration que les plages de rehaussement tardif sont détectables aussi à l’aide du scanner grâce à la même cinétique des produits de contraste iodés et à base de gadolinium(1,2), l’utilisation de cette méthode en soins courants reste limitée avec les scanners conventionnels. Au fait, avec les scanners conventionnels la détection des plages de rehaussement est très difficile du fait d’une faible différence d’atténuation entre le myocarde sain et pathologique. Les essaies avec des acquisitions à basse énergie (80 kV principalement) afin de se rapprocher au pic d’atténuation de l’iode souffrent d’une qualité d’image réduite qui va à détriment d’une analyse correcte(3). Les scanners « double-énergie » ont tout le potentiel pour changer cette situation, nous permettre d’évaluer les lésions focales du myocarde et des paramètres quantitatifs et, éventuellement, de changer le parcours des soins des patients.

Scanner double-énergie pour la détection des lésions du myocarde

Il existe des différents types de scanner dits à « double-énergie » qui utilisent différentes technologies : double tube, tube-switch, double couche de détecteurs (4). Avec chacune de ces technologies, le bout est d’avoir des informations sur les tissues traversés par les rayons à deux énergies (kV), une haute, une basse. Sur la base de ces données, grâce à des formules et des valeurs fixes connues davantage, il est possible de dériver des cartes dites « spectrales ». Ces cartes incluent par exemple les reconstructions mono-énergétiques et les cartes d’iode qui sont le plus intéressantes en imagerie cardiovasculaire (5,6). Les images mono-énergétiques à basses énergies (40-50 keV) permettent de se rapprocher au pic d’atténuation de l’iode (qui apparaîtra donc plus blanc sur nos images) (Figure 1) (7). Les cartes d’iode nous montrent seulement le contenu en iode des voxels d’intérêt et nous permettent aussi de le quantifier en mg/mL (Figure 1). Si nous imaginons de vouloir mettre en évidence une anomalie d’atténuation focale du myocarde, par exemple un défaut de perfusion ou une prise de contraste, il est évident que les images spectrales peuvent nous aider à détecter ces lésions (Figure 1). Les défauts de perfusion sont classés en défaut d’ischémie réversible et fixe. Le premier type peut être mis en évidence sous stress puisqu’il correspond au territoire vascularisé par une artère avec une sténose entre 50 et 75% d’un point de vue anatomique qui permet une bonne perfusion du myocarde au repos mais qui ne suffira pas lors d’un effort. Après injection d’un agent vasodilatateur et la réalisation d’une acquisition en phase artérielle, avec un scanner double énergie il sera possible d’objectiver ce défaut de perfusion ajoutant ainsi des données fonctionnelles à l’analyse morphologique habituelle. En cas de sténose très serrée ou bien d’occlusion complète de l’artère coronaire, le myocarde d’aval montrera une hypoperfusion fixe, visible aussi au repos. Si l’occlusion du vaisseau est complète et l’hypoperfusion entraine une nécrose du myocarde, avec le scanner nous pourrons mettre en évidence la plage d’infarcissement comme une prise de contraste sur une acquisition tardive (7-10 minutes après l’injection de produit de contraste), du fait d’une accumulation de produit de contraste dans l’espace extracellulaire augmenté, exactement comme en IRM. De la même façon, la sémiologie classique de l’IMR pourra nous aider à distinguer les plages d’infarctus, typiquement endocardiques, des plages de myocardite, elles aussi visible sur une phase tardive mais en région épicardique (Figure 2).

 

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Figure 1 – Images mono-énergétiques (MonoE) montrant un défaut de perfusion sous-endocardique de premier passage de la paroi inferieure du ventricule gauche (flèches). Il est évident que se rapprochant au pic d’atténuation de l’iode (montré sur le graphique en haut) à plus basses énergies, le défaut de perfusion devient de plus en plus évident du fait d’une augmentation du contraste entre le myocarde sain et pathologique. Par contre, s’éloignant du pic d’atténuation de l’iode vers les hautes énergies, il devient invisible (cf image à 120keV).

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Figure 2 – Exemples de rehaussement tardif d’une myocardite (première ligne) et d’un infarctus (deuxième ligne) sur des images d’une acquisition tardive au scanner (sur la gauche) et en IRM (sur la droite). Pour ce qui concerne les images scannographiques, il est évident que les images spectrales (les images mono-énergétiques et les cartes d’iode) aident à mettre en évidence ces plages de rehaussement tardif qui sont très difficilement détectables sur les images conventionnelles. Ces images montrent aussi qu’au scanner la sémiologie des lésions de la myocardite et de l’infarctus sur l’acquisition tardive est la même qu’on retrouve à l’IRM avec des plages de rehaussement tardif sous-épicardiques pour la myocardite et sous-endocardiques/transmurales pour l’infarctus.

Références :

  1. Redheuil AB, Azarine A, Garrigoux P, Mousseaux E. Images in Cardiovascular Medicine Correspondence Between Delayed Enhancement Patterns in Multislice Computed Tomography and Magnetic Resonance Imaging in a Case of Acute Myocarditis. 2006;571–2.
  2. Boussel L, Gamondes ÞD, Staat ÞP, Elicker BM, Revel D, Douek P. Acute Chest Pain With Normal Coronary Angiogram : Role of Contrast-Enhanced Multidetector Computed Tomography in the Differential Diagnosis Between Myocarditis and Myocardial Infarction. 2008;32(2):228–32.
  3. Boussel L, Ribagnac M, Bonnefoy E, Staat P, Elicker BM, Revel D, Douek P. Assessment of Acute Myocardial Infarction Using MDCT After Percutaneous Coronary Intervention: Comparison with MRI. Am J Roentgenol [Internet]. 2008 Aug;191(2):441–7. Available from: https://www.ajronline.org/doi/10.2214/AJR.07.3404
  4. Johnson TRC. Dual-energy CT: general principles. AJR Am J Roentgenol. 2012;199(5 Suppl):3–8.
  5. Vliegenthart R, Pelgrim GJ, Ebersberger U, Rowe GW, Oudkerk M, Schoepf UJ. Dual-energy CT of the heart. AJR Am J Roentgenol. 2012;199(5 Suppl):54–63.
  6. So A, Hsieh J, Narayanan S, Thibault JB, Imai Y, Dutta S, Leipsic J, Min J, LaBounty T, Lee TY. Dual-energy CT and its potential use for quantitative myocardial CT perfusion. J Cardiovasc Comput Tomogr [Internet]. 2012;6(5):308–17. Available from: http://dx.doi.org/10.1016/j.jcct.2012.07.002
  7. Boccalini S, Si-mohamed S, Matzuzzi M, Tillier M, Rotzinger DC, Revel D, Boussel L, Douek P. Effect of contrast material injection protocol on first-pass myocardial perfusion assessed by dual-energy dual-layer computed tomography. 2022;12(7):3903–16.